La France reconnaissante
Le 21 février 2024, 80 ans après son exécution par les nazis au Mont-Valérien, Missak Manouchian est entré au Panthéon avec Mélinée, sa compagne qui lui a survécu 45 ans. Il est le premier résistant communiste et étranger à reposer dans le temple des « Grands Hommes » auxquels la France manifeste sa reconnaissance. Victime de la barbarie et du panturquisme durant son enfance, Missak Manouchian combattit à l’âge adulte une autre idéologie génératrice d’un génocide. Il le fit au sein d’une armée de l’ombre fraternelle composée de communistes venus de toute l’Europe, majoritairement Juifs et Italiens qui fuyaient les persécutions antisémites et le fascisme. Rassemblés au sein des FTP-MOI, ces hommes et ces femmes ont donné leur vie pour la France des Lumières. La République reconnut leur sacrifice. Tous ont été honorés par elle et ont intégré le roman national à travers la panthéonisation de Manouchian.
Réfugié du génocide des Arméniens
Revenons maintenant sur les principaux jalons de la biographie de cet homme dont le nom reste associé dans la mémoire collective à l’Affiche rouge produite par les nazis pour dénoncer « l’armée du crime », et devenue grâce au talent d’Aragon et de Ferré, le symbole de la participation des immigrés à la Résistance française.
Missak naît au début du XXe siècle au cœur de l’Arménie historique dans une région rurale de l’Empire ottoman. Il grandit au sein d’une famille de viticulteurs. La mise en œuvre du génocide des Arméniens au cours de la Première Guerre mondiale le laisse orphelin. Il survit à la déportation avec ses frères aînés Haïg et Garabed. Vient ensuite le temps du refuge en orphelinat à partir de 1919. C’est à Djounieh, institution du Near-East Relief au Liban, que Missak reçoit une éducation primaire complète, apprend le français et développe son goût des lettres. Il se forme aussi au métier de menuisier qu’il pratiquera à son arrivée en France en septembre 1924.
L'arrivée en France
À l’instar d’environ 60 000 réfugiés arméniens qui gagnent la patrie des Droits de l’homme à la même époque, le jeune Manouchian, qui a entre 15 et 18 ans, débarque comme main d’œuvre. Le pays en a fort besoin après la Grande Guerre.
En juin 1925, après avoir travaillé 9 mois dans les chantiers navals de la Seyne-sur-Mer, il décide de mettre le cap sur Paris. Là, Missak forge un aspect de sa personnalité qui sera bien connu : il est ouvrier et poète, se partage entre l’usine et la bibliothèque Sainte Geneviève où il épanche sa soif de culture et de lectures. Il fonde Tchank (Effort, 1930-1931), une revue littéraire avec son ami Séma, autre jeune arménien orphelin et avide de textes comme lui. Manouchian fréquente les écrivains de la jeune garde arménienne de gauche. Il s’entoure d’artistes aussi et pose comme modèle pour compléter ses revenus.
C’est notamment par l’intermédiaire d’un ami peintre qu’il est accueilli en décembre 1931 à la Cité nouvelle (Châtenay-Malabry) où il fait pendant près de deux ans l’expérience de la vie en collectivité. Ce séjour est déterminant pour Missak qui affine sa conscience politique au contact de colocataires sympathisants communistes. Avant de quitter cette communauté, il demande la nationalité française. Six mois plus tard, dans les prémices du Front populaire, il adhère au PCF et rejoint la sous-section arménienne de la MOI (Main d’œuvre immigrée).
En 1935, Manouchian renonce à l’écriture pour se consacrer au militantisme. Il est élu au Comité Central de la branche française du HOK, le Comité d’aide à l’Arménie créé à Erevan au lendemain de la bolchévisation. Il y rencontre Mélinée Assadourian, l’amour de sa vie, et tant d’autres qui dans l’effervescence de 1936 forment sa nouvelle famille. Manouchian dirige l’hebdomadaire Zangou, nouvelle publication du HOK qui cesse de paraître au moment de la Grande Terreur en URSS.
Le délitement des liens avec l’Arménie soviétique intervient après un rapatriement massif de réfugiés vers la mère patrie. Ceux qui restent en France doivent s’intégrer. C’est dans ce sens qu’œuvre désormais Missak alors qu’avec l’échec de l’union de la gauche, la xénophobie refait surface.
La Résistance
Lorsque la guerre éclate, lui et ses amis sont considérés comme suspects en raison du pacte germano-soviétique qu’ils déplorent pourtant. Manouchian est incarcéré à la prison de la Santé puis relâché et mobilisé, ce qu’il souhaitait. Animé d’un vif désir de défendre son pays d’accueil, il requiert à nouveau la nationalité française. Les débuts de l’Occupation ébranlent profondément le groupe dont il fait partie.
Les Arméniens de la MOI entreprennent des actions de propagande anti-hitlérienne destinées à leurs compatriotes. Manouchian quant à lui rejoint la Résistance en septembre 1941 à sa sortie du camp de Compiègne où il avait été interné deux mois plus tôt à la suite de l’attaque de l’URSS par l’Allemagne, agression qui rompt le traité qui liait ces deux puissances.
En mars 1943, il bascule dans la guérilla urbaine menée depuis près d’un an par la formation militaire de la MOI (FTP-MOI) et dont le chef à Paris est Boris Holban. Missak le remplace en août. Arrêté en novembre 1943 à l’issue d’une traque sans merci livrée par les inspecteurs de la préfecture de police de Paris, il est condamné à mort avec ses camarades. Victimes du même coup de filet, d’autres résistants sont assassinés en déportation. Parvenus à échapper à la police, cinq des six Arméniens que Manouchian avait recrutés dans les FTP-MOI de Paris, partent en province et prennent part aux combats de la Libération à l’été 1944.
Les quatre qui survivent à la guerre s’investissent, la paix revenue, dans un travail de mémoire faisant de Missak Manouchian la figure de référence du mouvement progressiste arménien qui se reforme autour d’eux. A Erevan puis à Paris, Mélinée se consacre aussi au souvenir de son compagnon.
À la lueur de recherches nouvelles menée en amont de la panthéonisation, la personnalité de Manouchian est apparue plus riche encore que dans les précieux témoignages qu’ils nous avaient laissés.
Astrig Atamian
Historienne
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